On parle régulièrement de la croissance à long terme de la Bourse comme argument en faveur de l’investissement long terme. Le consensus veut que les marchés vaillent plus à l’avenir que ce qu’ils valent aujourd’hui. Et de manière générale, c’est une réalité qui se confirme depuis de nombreuses décennies.
Le S&P 500 par exemple, l’indice qui suit l’évolution boursière de 500 des plus grandes entreprises américaines a une courbe croissante exponentielle depuis maintenant plus de 80 ans, ici en échelle logarithmique.
Malgré des variations qui sont parfois importantes d’une année sur l’autre, le S&P 500 a historiquement connu un rendement annuel moyen, dividendes réinvestis, de l’ordre de 10 % par an depuis sa fondation.
Depuis 1802 même, on sait que les actions ont une performance annualisée de 6,6 % nette d’inflation grâce aux données de Jeremy Siegel.
Pourtant, en vous lisant parfois dans les commentaires, je me rends compte que vous êtes très nombreux à craindre que cette réalité ne soit plus forcément valable pour les prochaines décennies à venir.
Et c’est compréhensible : les dernières décennies ont été marquées par une croissance mondiale exceptionnelle, mais rien ne garantit que cette croissance soit là indéfiniment et que la Bourse continuera de croître.
Il existe d’ailleurs un pays développé qui est souvent utilisé comme contre-exemple. Il s’agit du Japon, un pays et qui a connu un krach boursier si important qu’il s’en remet à peine près de 30 ans plus tard.
Si en 1990 vous aviez pris la décision d’investir sur les actions japonaises ou sur l’indice du Nikkei 225, l’équivalent japonais du S&P 500, vous seriez toujours en moins-values à l’heure actuelle.
Alors que s’est-il passé ? Le Japon est-il une exception ou un pays précurseur ? Et si nous entrons dans un monde sans croissance, faut-il s’inquiéter qu’un scénario japonais apparaisse en France, ou aux États-Unis, ou pire dans le monde entier ?
La Bourse ne va-t-elle pas stagner ? Comment investir en Bourse dans un monde sans croissance ? Nos investissements long terme ne sont-ils pas voués à l’échec ?
Vous trouverez la version vidéo de cet article juste ici :
Investir en Bourse dans un monde sans croissance : le cas du Japon
Pour répondre à ces questions, nous allons déjà tenter de mieux comprendre comment l’économie et le marché boursier japonais sont devenus ce qu’ils sont. Pour cela, nous devons jeter un coup d’œil au passé.
On pourrait découper l’histoire moderne du Japon en 3 grandes phases.
1.La phase de l’isolement du Japon de 1950 à 1985
Dans les années 1950, le gouvernement japonais tente de protéger et de renforcer son économie en l’isolant de l’économie mondiale. À cette époque, le Japon est un pays très replié sur lui-même et son économie est fermée aux importations.
Pendant 20 ans, le Japon connaît alors une 1re phase de croissance rapide, car quasiment tout devait être produit nationalement. Et entre 1953 et 1969, le PIB augmente de plus de 9 % par an. Dès 1968, le pays devient la 2e puissance économique mondiale.
Cependant, dans les années 70, le pays est durement touché par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, et pour y faire face, le gouvernement prend la décision de beaucoup s’endetter. Le ratio de dette japonais est multiplié par 4 en 10 ans, passant de 11,95 % du PIB en 1970 à 50,63 % du PIB en 1980. Et cette dette continuera d’augmenter au fil des années.
Pour essayer de maintenir sa croissance, le gouvernement décide donc d’investir massivement pour pouvoir booster les exportations du pays. C’est à cette période que le Japon commence à exporter beaucoup de ses propres biens vers les pays étrangers.
L’économie japonaise, qui était déjà dans une phase de croissance, continue alors sa phase de croissance encore plus rapide. On parle à l’époque du miracle économique japonais.
Mais la stratégie du pays essuie de vives critiques à l’international, principalement, car le Japon possédait une monnaie dévaluée par rapport aux autres monnaies et pouvait exporter ses produits pour moins chers dans le monde entier, mettant à mal la concurrence d’autres pays, notamment des États-Unis.
Pour faire face à ce problème, les pays du G5 (la France, L’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon) ont décidé de prendre des mesures pour rendre le yen japonais plus fort par rapport aux autres monnaies. Cela a débouché sur les accords de Plaza en 1985, car signé à l’hôtel Plaza à New York.
C’est un accord qui a permis de réévaluer la monnaie japonaise par rapport aux autres monnaies, notamment le dollar américain. En moins de 3 ans, le dollar américain perdu plus de la moitié de sa valeur face au yen.
2. La phase d’assouplissement et la formation de bulles 1985-1990
Comme le Yen valait plus cher, les exportations japonaises sont également devenues plus chères et donc moins attractives pour les autres pays. Au contraire, les importations pour le Japon sont devenues bien meilleur marché.
L’appréciation du Yen a donc amené un dérèglement économique majeur au Japon, dont une grande partie était basée sur les exportations.
Pour lutter contre une récession perçue comme inévitable, la Banque Centrale du Japon décide alors d’adopter une politique monétaire basée sur le crédit facile et baisse progressivement ses taux d’intérêt, passant de 5 à 2,5 %.
Ces taux d’intérêt faibles ont eu comme conséquence de stimuler l’investissement dans l’immobilier et dans la Bourse. Les prix de l’immobilier comme celui de la Bourse ont commencé à s’apprécier à un point jamais vu auparavant.
Pour vous donner un ordre de grandeur, en 1989, 45 % de la capitalisation boursière mondiale était japonaise. Le marché boursier japonais valait 1,5 fois le marché boursier américain.
Sur les 50 premières sociétés mondiales par capitalisation boursière, 32 étaient japonaises.
À titre de comparaison, aujourd’hui, une seule de ces entreprises reste dans le top 50, il s’agit de Toyota.
Pour l’immobilier, même si la superficie des États-Unis est 26 fois plus élevée que la superficie du Japon, en 1990, l’ensemble de l’immobilier japonais valait 5 fois l’ensemble de l’immobilier américain. Théoriquement, en vendant seulement la métropole de Tokyo, les Japonais pouvaient s’acheter l’ensemble de l’immobilier américain.
Évidemment, cet emballement de l’immobilier et de la bourse a commencé à inquiéter le gouvernement, et celui-ci a décidé de réaugmenter les taux directeurs de 2,5 à 6 % en 1990 afin de calmer tout ça.
3. La phase des trois décennies perdues depuis 1990
En 1990, la 3e phase dans laquelle le Japon se trouve encore aujourd’hui a commencé.
À la suite de la hausse des taux d’intérêt, la valeur de l’immobilier ainsi que des actions au Japon ont fortement chuté. On peut voir ici l’évolution du Nikkei 225 depuis les années 50. C’est l’indice japonais le plus connu qui contient les 225 plus grandes entreprises cotées à la Bourse japonaise. Il a atteint un plus haut en 1990 à 40 000 points avant de s’écrouler à 14 309 points en 1992, soit une baisse de 63 %.
Ce graphique change un peu des graphiques dont on a l’habitude comme le S&P 500 qui ont généralement une hausse bien nette sur le long terme.
Aujourd’hui en 2022, l’indice n’a d’ailleurs toujours pas retrouvé son niveau de 1990.
À noter qu’il s’agit d’un indice prix, ce qui signifie que les dividendes versés ne sont pas réinvestis. Avec dividendes, le Nikkei a redépassé son plus haute fin 2020, mettant fin à 30 années de performance négative pour un investisseur ayant investi au plus haut des années 90.
Le krach ne se réfère pas uniquement au marché boursier, mais a aussi été suivi d’un profond ralentissement de l’économie japonaise et d’une récession. Le PIB japonais connaît un pic en 1995, avec donc un certain décalage entre le krach des marchés boursiers en 1990 et la phase de récession du Japon qui débute 5 ans plus tard, en 1995. Cela paraît anecdotique, dit tel quel, mais nous reparlerons ensuite de ce décalage entre Bourse et économie.
Si je vous parle aujourd’hui du Japon, c’est parce que ce pays pourrait être un contre-exemple au fait que la bourse soit toujours un bon placement à long terme.
Finalement, ce qui nous intéresse en tant qu’investisseur, c’est de savoir si ce qui s’est passé au Japon pourrait potentiellement se passer en France, aux États-Unis ou dans le reste du monde dans les prochaines années.
Même s’il est évidemment extrêmement difficile de faire des prévisions, on peut tout de même jeter un œil à certaines données clés.
Comprendre le scénario japonais et l’impact sur nos investissements
Il y a quelques éléments qui laissent potentiellement penser qu’un scénario à la Japonaise soit ce qui attend les investisseurs.
Comme on a pu le voir juste avant, le krach boursier qui s’est passé il y a 30 ans au Japon est la conséquence de plusieurs facteurs.
Et parmi les plus remarquables, on peut noter que le pays a traversé :
- un ralentissement de sa croissance économique ;
- une augmentation massive de sa dette.
Voyons si ces 2 paramètres entraînent obligatoirement un krach du marché boursier.
1. Le ralentissement de la croissance
Pour ce qui est du ralentissement de la croissance, on pourrait justement examiner de plus près la croissance du PIB japonais depuis le pic de 1995.
On s’aperçoit qu’il n’y a effectivement pas eu de croissance dans le pays depuis 30 ans, voire une croissance négative pendant certaines années, avec un PIB entre aujourd’hui et 1995 qui a chuté de 11 %.
Si vous arrivez à placer ces simples 3 € par jour sur un placement rapportant 8,5 % annualisé, grâce à la Bourse. Par exemple, les intérêts composés vont porter votre petit investissement de 3 € par jour à plus de 140 000 € sur 30 ans et plus de 330 000 € sur 40 ans.
Ces petits riens du quotidien peuvent coûter en réalité très cher sur le long terme.
Si on la compare à la croissance économique de la France, on constate que dans notre pays la croissance ne s’arrête pas en 1990, mais semble continuer jusqu’en 2008, date à partir de laquelle on observe une certaine stagnation comme ce qui a pu ce passé au Japon.
Pourtant, le CAC40 GR, Gross Return, dividendes réinvestis, qui sert d’indice de référence pour la bourse française, connaît une hausse significative depuis 2008 et une performance annualisée de 7,9%.
La stagnation du PIB n’est donc pas un indicateur qui peut expliquer à lui seul une baisse des marchés financiers, la France en est un bon exemple.
Pour ce qui est de la croissance du PIB mondial, on observe qu’elle a elle plutôt tendance à croître à un rythme plus élevé et surtout moins volatil.
2. L’augmentation massive de la dette
Le Japon a connu une augmentation fulgurante de sa dette qui a été multipliée par 5 depuis 1980. Lorsque le crash du Nikkei 225 a eu lieu en 1990, le Japon était endetté à hauteur de 65 % de son PIB.
C’est un chiffre qui est sensiblement comparable à l’endettement de la France en 2008, date à laquelle la croissance économique a également commencé à stagner dans notre pays.
La dette et la stagnation de la croissance ne semblent pas être des indicateurs qui puissent expliquer à eux seuls une baisse à venir mécanique et inévitable des marchés financiers.
Évidemment, la croissance est un indicateur important, mais vous pouvez parfaitement avoir une récession sans avoir un marché baissier et vice versa. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au Japon ou le krach boursier à commencer 5 ans avant la récession qu’a connue le pays.
La Bourse n’est pas câblée pour devoir représenter la situation économique.
On arrive à un fait bien connu et documenté sur les marchés financiers : les performances des marchés boursiers sont bien plus liées aux sentiments et aux prévisions futures que font les investisseurs.
Par conséquent, la raréfaction des ressources naturelles, le pic pétrolier, la guerre, le réchauffement climatique… toutes ces craintes peuvent en réalité être déjà prises en compte dans la valeur des actions en bourse que vous achetez aujourd’hui.
Mais, imaginons que malgré tout, vous êtes persuadé que la bourse va durablement se retrouver en territoire baissier.
Comment pourriez-vous concrètement vous sécuriser en tant qu’investisseur ?
Se protéger en tant qu’investisseur
Tout d’abord, il est important de rappeler qu’un investissement en Bourse est toujours risqué, aucun rendement n’existe sans risque. Le rendement peut justement être vu comme la compensation d’un risque que vous prenez et le risque peut s’exprimer de nombreuses manières.
Par exemple par des fluctuations de valeur ou par le fait que le rendement à long terme soit parfois inférieur au niveau attendu.
Si vous êtes convaincu qu’un scénario sans performance boursière soit ce qui attend les investisseurs, voici 3 pistes de réflexion très importantes à considérer pour vos investissements :
1. La diversification du portefeuille d’actions
Il est tout à fait probable que dans un futur plus ou moins proche, certains pays ou certains secteurs ne connaissent pas de performance en Bourse. Toutefois, en étant diversifié non pas dans un pays, mais dans toute une région, ce risque est dilué et une croissance 0 dans l’ensemble des bourses mondiales paraît très improbable. On a parfois un effet de vase communicant où lorsqu’un secteur ou une région est en difficulté, un autre secteur ou une région en profite.
Par exemple, pendant la 1ʳᵉ Guerre mondiale, entre 1914 et 1918, alors que l’Europe sombrait dans le chaos, l’indice boursier phare américain à cette époque, le Dow Jones, a grimpé de 43 % en 4 ans, soit 8,7 % en rythme annuel.
Pendant la 2ᵉ Guerre mondiale, de 1939 à 1945, le Dow Jones a grimpé à 50 % au total, soit 7 % annuel.
Il n’est pas rare qu’en période de forte instabilité dans certaines régions du monde, il y ait d’autres régions où les marchés soient en hausse.
En diversifiant votre portefeuille au maximum, vous aurez des actions de régions plus dynamiques et en hausse qui permettront de compenser vos actions de régions en baisse.
Sur le long terme, les situations économiques des pays ne sont pas gravées dans le marbre. Il se peut qu’une région sans croissance depuis plusieurs décennies renoue avec la croissance à l’avenir, et inversement.
C’est d’ailleurs ce que l’on observe avec le Japon, sur les 10 dernières années l’indice du Nikkei a eu une excellente performance de +213 %, soit une performance annualisée de 12 %.
Alors, n’investissez pas toutes vos économies sur une seule région, ou une seule industrie. Et ceci est aussi vrai pour les États-Unis : tout miser sur des actions américaines peut être très risqué.
2. La diversification de la nature des investissements
Même si l’investissement en Bourse est historiquement un des meilleurs investissements possibles, il en existe beaucoup d’autres qui peuvent être très intéressants dans un patrimoine bien diversifié. C’est une forme de diversification très importante, car différentes natures d’investissement permettront d’avoir des investissements vraiment décorrélés et donc beaucoup plus résilients.
On peut s’intéresser à des investissements comme :
- les obligations ;
- les cryptos ;
- les SCPI ;
- l’immobilier en direct ;
- le crowdfunding.
3. Investir en DCA
La méthode du « Dollar Cost Averaging », est une stratégie bien connue, car très efficace. Elle consiste à étaler vos investissements dans le temps. En investissant en DCA, vous investissez la même somme tous les mois par exemple. Vous achèterez aux plus hauts, mais aussi aux plus bas.
Si un investisseur avait investi dans le Nikkei 225 en DCA plutôt qu’en une seule fois à partir du krach de 1990, malgré le fait que l’indice ait été dans une phase baissière la majorité du temps, il se serait retrouvé avec un rendement positif de 83 % aujourd’hui, plutôt qu’avec une performance négative de -29 %.
De la même manière, lors de la décennie perdue sur les actions américaines avec l’éclatement de la bulle internet en 2000 et la crise financière mondiale des subprimes en 2008, un investissement en DCA aurait quand même porté ses fruits alors que les marchés n’ont pas eu de tendances haussières claires sur cette période.
En bref, en Bourse, il y a toujours eu et il y aura toujours des crises, de l’incertitude et des bulles qui éclatent… Tout investissement boursier comporte des risques. Il n’existe aucune garantie d’un retour sur investissement.
Le cas du Japon est un cas particulier qui n’est pas facilement transposable à la France ou au reste du monde, et il serait trompeur de prendre l’exemple de ce pays comme étant précurseur de ce qui va se passer dans l’économie mondiale. D’autres facteurs, comme la démographie, la déflation, expliquent aussi une partie du problème auquel fait face le Japon.
Mais encore une fois : il y a une différence de taille entre un marché baissier et une récession. Cela ne veut pas dire que les deux ne peuvent pas se produire en même temps, mais vous pouvez avoir une récession sans marché baissier et vice versa.
Comme souvent en Bourse, il n’existe en fait aucun moyen de savoir avec certitude si la Bourse va baisser aujourd’hui, demain ou dans 3 ans. Tout ça n’est que de la spéculation. L’investissement long terme, le DCA, la diversification, par exemple, via les ETF, sont des formidables remparts à ces risques de baisse. La stratégie d’investissement long terme est compatible avec une vision de l’avenir dont la croissance sera plus faible que par le passé, la croissance économique et l’évolution des marchés n’étant pas la même chose.
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