Faire du trading sans payer de frais de courtage, ça vous tente ? 💸 Très visibles depuis quelques années, certaines plateformes de trading axent leur communication sur des frais sans cesse tirés vers le bas. Faut-il s’en méfier ? Afin de mieux comprendre ce qui se cache derrière ces pratiques, mettons en lumière le PFOF, pour payment for order flow.
Définition du PFOF
Le « payment for order flow » (PFOF, prononcé pifof) peut se traduire en français par « paiement pour flux d’ordres ». Afin d’expliquer ce terme, posons tout d’abord le contexte. Considérons le cas typique d’un investisseur qui souhaite acheter des actions en Bourse. Pour acquérir une action au sein d’un PEA ou d’un compte-titres ordinaire, cet investisseur doit passer un ordre d’achat auprès de son courtier en Bourse. Avec une assurance-vie, c’est l’assureur qui s’en charge.
« Payment for order flow » et carnet d’ordres
📊 Pour ce faire, il faut commencer par regarder le carnet d’ordres, dont voici une version simplifiée : (exemple avec le titre de l’entreprise Veolia)
La colonne de gauche (ACHAT) répertorie la demande, à savoir les investisseurs qui veulent acheter des actions Veolia. Celle de droite (VENTE) concerne quant à elle l’offre, ceux qui vendent ces actions. Un bon acheteur est prêt à acheter à un prix proche du cours de l’action (ici 31,88 €), donc plus son prix est élevé, plus son ordre sera haut placé dans le carnet d’ordres.
Suivant la même logique, un bon vendeur affiche un prix de vente proche de ce même cours. Par conséquent, meilleurs acheteurs et vendeurs se retrouvent sur la 1ère ligne du carnet : ici 31,85 € (bid price, achat) et 31,90 € (ask price, vente). L’écart entre ces 2 meilleurs prix s’appelle le « bid-ask spread », soit 31,90 – 31,85 = 0,05 €. De plus, on désigne par « contrepartie » l’investisseur (personne ou institution) de l’autre côté de la transaction :
- si je vends des actions, la contrepartie me les achète ;
- si j’achète des actions, elle me les vend.
Une des particularités des marchés financiers réside dans son excellente liquidité, c’est-à-dire la facilité avec laquelle on peut opérer une transaction. Concrètement, cela signifie :
- trouver facilement une contrepartie ;
- réaliser la transaction à un prix proche du cours de marché.
PFOF et spread
Afin de remplir ces critères, les investisseurs particuliers et institutionnels qui passent des ordres ne seraient pas toujours suffisamment nombreux. Un acteur supplémentaire est donc nécessaire à une bonne liquidité : le market maker (ou faiseur de marché). Professionnel de la finance, il assume le rôle de contrepartie (achète aux vendeurs, et vend aux acheteurs) et tire ses revenus du spread décrit plus haut. Décrivons ce mécanisme plus en détails avec un schéma ci-dessous.
Le prix d’achat (bid) est de 31,85 €. Celui de vente (ask) est de 31,90 €. Le spread vaut donc 0,05 € à cet instant, où aucune transaction ne se fait. Juste après, et dans un intervalle de temps très court, un acheteur propose un prix de 31,87 €, et un vendeur affiche un prix de 31,86 €. Le market maker va vendre au 1er (à 31,87) et acheter au 2nd (à 31,86). Il empoche donc ici 0,01 € grâce au spread. Montant ridicule mais…sur le Nasdaq, une des principales Bourses américaines, environ 50 millions de transactions sont opérées chaque jour. C’est grâce à la grande quantité d’ordres passés sur les marchés que les market makers se rémunèrent.
Paiement pour flux d’ordres et concurrence entre market makers
Les markets makers sont présents sur de nombreux marchés : actions, obligations, ETF, produits dérivés (options, futures, etc.). Ils se font concurrence, ce qui réduit le spread et assure une bonne liquidité comme décrit plus haut.
Sur le schéma ci-dessus, on voit qu’en passant un ordre en Bourse auprès de son courtier, un investisseur paie en réalité 2 couches de frais :
- des frais de transactions au courtier (qui aiguille l’ordre passé vers la place boursière souhaitée) ;
- rémunère le market maker qui opère en contrepartie (décrit plus haut).
Les courtiers affichent clairement les frais de transactions. Exemple : frais de courtage de 1,90 € pour un ordre (achat ou vente) compris entre 500 et 1 000 €. Quant aux frais de spread, ils sont inconnus à l’avance, car ils dépendent de nombreux paramètres dynamiques. Toutefois, en Europe, la directive MiFID (markets in financial instruments directive) impose que le prix d’exécution d’un ordre soit le plus avantageux pour le client.
PFOF et unique market maker
Ceci étant posé, que se cache-t-il derrière les plateformes de trading annonçant « 0 % de commission » ? En effet, la 1ère couche de frais (pour les transactions) est effectivement de 0 € sous certaines conditions. La suite ? Sans surprise, c’est sur la 2ème couche de frais (market maker) qu’il faut se concentrer. Considérons désormais le schéma suivant :
La concurrence entre market makers a ici disparu, n’en laissant plus qu’un seul opérer tous les ordres provenant d’un courtier partenaire. Par conséquent, ce dernier endosse un rôle d’apporteur d’affaires vis-à-vis du market maker. Que cela veut-il dire ? 🤔
Supposons un projet d’achat immobilier. Pour le réaliser, on peut consulter un courtier en prêts immobiliers. Ce dernier peut nous aiguiller et nous faire devenir client d’une banque X, en raison d’un taux d’emprunt avantageux. Ce courtier amène donc de nouveaux clients à cette banque, en contrepartie d’une rémunération versée par cette dernière. Il est donc apporteur d’affaires (ici, de clients) pour la banque X.
Paiement pour flux d’ordres et frais
On comprend alors comment un courtier en Bourse peut afficher « 0 % de commissions » tout en générant des revenus. Ces derniers proviennent de l’unique market maker qui traite tous les ordres des clients. C’est la définition du PFOF : payment for order flow, ou paiement pour aiguillage du flux d’ordres d’un courtier vers un market maker désigné. Ceci a des conséquences, comme nous allons le voir par la suite.
Hors contexte boursier, on peut illustrer la problématique de la double couche de frais avec un exemple concret. On souhaite échanger des EUR contre des dollars auprès d’un bureau de change. Le cours officiel de ces 2 devises est de 1 EUR = 1,12 $. On a le choix entre 2 bureaux de change : classique (avec commission), ou magique (sans commission). Lequel choisissez-vous ?
Concrètement, ce problème de spread élevé se retrouve sur certaines plateformes crypto. Notamment, ces dernières proposent de mettre en place des achats mensuels programmés pour un coût modique. Si c’est votre cas, regardez bien à combien la crypto est achetée par rapport au cours officiel, vous pourriez avoir des surprises. 🎭
Un spread élevé (prix d’achat sensiblement supérieur au cours officiel), représente alors un coût supplémentaire et implicite. Il est vrai que cette automatisation déleste l’esprit d’une charge mentale. Toutefois, ce surcoût justifie-t-il la mise en place de cette automatisation ? A chaque investisseur de se poser la question.
Origines du « paiement pour les flux d’ordres »
La période 2008-2009 a marqué les esprits avec l’une des plus importantes crises financières connues à ce jour, celle des subprimes. Parmi les arnaques que ce contexte a révélées, la pyramide de Ponzi façon Bernhard Madoff reste encore aujourd’hui une référence. Un manque de 50 milliards de $ à rendre à ses clients lui a valu une peine de 150 an de prison. ⚖️
Bien avant ces faits, ce même Madoff avait inventé le PFOF dans les années 1980. Il aura fallu attendre une quarantaine d’années pour que cette pratique aboutisse à des communications marketing agressives, venant de certaines plateformes de trading. Trading212, Robinhood ou encore XTB pour ne citer qu’elles. Le trading sans commission ! Ajoutons la gamification : le fait de rendre le trading amusant avec des interfaces très étudiées pour pousser les clients à passer toujours plus d’ordres. Nous obtenons alors les ingrédients nécessaires à la méfiance.
Implications du « Payment for order flow »
Le simple fait d’annoncer des frais de courtage de 0 € est trompeur. Rien n’est gratuit, surtout dans le monde de la finance. Reprenons le schéma ci-dessus, où ne figure qu’un unique market maker. Sans concurrence, libre à lui d’exercer un spread important dans les 2 sens : vendre cher à un acheteur, acheter peu cher à un vendeur. Ainsi, maximiser le gain à chaque position prise en tant que contrepartie. De plus, il doit en reverser une partie au courtier partenaire, raison supplémentaire pour gonfler ses revenus.
Apparait également un conflit d’intérêt évident : celui du courtier vis-à-vis de ses clients. Un courtier rémunéré par le PFOF est incité à favoriser un market maker à la rétribution généreuse 💰. Ce courtier sera probablement moins regardant sur le prix d’exécution des ordres, pourtant censés être les plus favorables aux clients.
C’est principalement pour cette raison que la FCA (financial conduct authority), autorité financière au Royaume-Uni, a déjà interdit le PFOF depuis 2012. Il en sera de même en Europe, à partir du 30 juin 2026. Les courtiers européens dont le business model est basé sur le PFOF doivent retravailler leur stratégie.
Études sur le « payment for order flow »
Impacts du PFOF
🎯 Cette apparente gratuité attires de nombreux investisseurs particuliers. Parmi eux se trouvent des spéculateurs, qui pensent pouvoir faire du trading gratuitement, notamment en ayant recours à des produits dérivés. Sujet complexe en finance, citons simplement l’exemple des options. Une option est un contrat qu’un investisseur achète, afin de pouvoir exercer son droit d’acheter (ou de vendre) un titre coté, à un prix défini à l’avance. Ce choix sera guidé par l’évolution du cours en question.
L’investisseur légendaire Warren Buffett qualifie les produits dérivés « d’armes de destruction massive »💥. La raison est que cette panoplie de produits complexes peut engendrer des dégâts financiers considérables auprès de leurs utilisateurs.
Qu’importe pour les courtiers qui pratiquent le PFOF. Les options précitées peuvent afficher un spread démesuré de plus de 10 %, c’est-à-dire que l’investisseur paie l’option à un prix excessif. Un spread par conséquent bien plus élevé que sur des titres standards comme des actions.
L’autorité financière hollandaise, l’AFM, a mené une étude sur le PFOF. Pour ce faire, elle a comparé des courtiers standards (sans PFOF), avec des concurrents reposant sur le PFOF. Plus précisément, 140 000 transactions ont été analysées pour chaque courtier. En résumé, dans 70 % des transactions, les clients ont payé entre 0,048 % et 0,115 % de plus avec le modèle PFOF. Ce qui montre en effet un surcoût lié à ce modèle.
D’autres études déplorent que les courtiers PFOF axent essentiellement leur communication marketing sur des produits dérivés, comme cités plus haut. Tout simplement car ils sont bien plus rémunérateurs, en dépit des risques qu’ils présentent.
PFOF et les courtiers
Parmi les acteurs majeurs en Europe, on compte le courtier allemand Trade Republic. Ce dernier a pratiqué le PFOF durant quelques temps, avec le partenaire « Lang & Schwarz ». Excepté l’Allemagne où ce mécanisme fonctionnera jusqu’en juin 2026, les ordres des autres clients européens ne passent plus par le modèle de PFOF.
Restons dans la catégorie des courtiers allemands proposant des compte-titres ordinaires (CTO) compétitifs : Scalable. Ce courtier pratique le PFOF avec Gettex, la Bourse de Munich. Cependant le PFOF n’est pas pratiqué de façon systématique, car les ordres peuvent être envoyés sur Xetra, la Bourse de Francfort.
En bref, méconnu du grand public, le market maker est pourtant une des pièces maitresses au sein d’une mécanique boursière efficace. Cet acteur influe beaucoup sur la liquidité des marchés financiers, et participe à leur efficience. Le PFOF, sujet à controverse, peut engendrer des conflits d’intérêt, et finalement desservir le client final, qu’un courtier est censé faire passer au 1er rang. Pour aller plus loin, consultez notre formation offerte.